Au moment d’écrire ces lignes, après plusieurs menaces, une guerre commerciale avec les États-Unis semblait inévitable. Après un sursis de 30 jours, l’administration américaine doit imposer des droits de douane de 10 % sur les exportations canadiennes d’énergie et de 25 % sur tous les autres produits. Par surcroît, à compter du 12 mars, des tarifs de 25 % s’appliqueront sur les exportations d’aluminium et d’acier canadiens. On sait aussi que le Canada répliquera avec des contre-tarifs.
Évidemment, tout cela n’est pas une bonne nouvelle pour notre économie. Toutefois, en contrepartie, cela pourrait bien se traduire par des taux d’intérêt plus faibles (à court terme).
Le dilemme de la Banque du Canada
Une guerre commerciale aura deux effets bien prévisibles : 1) un ralentissement de notre économie (y compris des pertes d’emplois), et 2) un effet inflationniste attribuable aux contre-tarifs canadiens et à la dévaluation du dollar canadien.
Or, la Banque du Canada se retrouvera prise entre deux feux. Elle ne pourra pas à la fois baisser le taux directeur pour stimuler l’économie et le relever pour combattre l’inflation. Que ferait-elle alors ?
Pour comprendre la direction que prendra le taux directeur, on peut se rabattre sur les déclarations récentes du gouvernement de la Banque : « Si des droits de douane sont imposés, la demande devrait chuter plus rapidement que l’offre. Cela nuirait à la croissance économique. Des taux d’intérêt plus bas pourraient contribuer à soutenir la demande pendant cette période[1] ».
La réponse se trouve donc dans la séquence des évènements. La Banque diminuera probablement son taux directeur de manière plus agressive d’ici le printemps (les prochaines dates de réunion du conseil de direction de la Banque sont le 12 mars, le 16 avril et le 4 juin). Elle entrevoit que l’accélération de l’inflation sera un problème qui prendra quelques mois à se manifester. Si le conflit perdure, elle n’aura d’autre choix que de s’occuper de l’inflation par la suite, de sorte qu’elle devra aussi relever le taux directeur plus rapidement, mais plus tard.
Par ailleurs, sur les marchés financiers, le taux de rendement des obligations du gouvernement du Canada à 5 ans, qui dicte les taux sur les prêts hypothécaires à taux fixe, ont déjà dégringolé de 24 points de base depuis une semaine, signe que les investisseurs anticipent que le ralentissement économique pèsera plus lourd dans la balance que l’inflation. Les taux hypothécaires à 5 ans devraient normalement suivre eux aussi, à moins bien sûr qu’il y ait d’autres rebondissements inattendus.
Une fenêtre qui s’ouvre, pour une période indéterminée
Au cours des prochaines semaines, au moment où débutera le conflit, les taux hypothécaires sont donc susceptibles de diminuer davantage qu’ils ne l’auraient fait autrement et les taux variables diminueront davantage que les taux fixes.
Il devrait donc y avoir, à court terme, une période où les taux hypothécaires pourraient être plus avantageux pour les nouveaux acheteurs et pour les propriétaires qui renouvellent leur prêt. Il est impossible de dire à ce moment-ci combien de temps cette période pourrait durer, car nous l’avons dit plus haut, les taux remonteront éventuellement (et ce, même si le conflit venait à se résoudre, puisque la Banque du Canada devra alors normaliser son taux directeur).
Impact sur le marché immobilier
Le conflit commercial amènera inévitablement certains acheteurs potentiels à rester sur les lignes de côté, en particulier pour ceux dont l’emploi est à risque parce qu’ils oeuvrent dans un secteur qui dépend beaucoup des exportations vers les États-Unis. D’ailleurs, la confiance des consommateurs a déjà chuté depuis deux mois.
Par contre, la probable fenêtre dont nous parlions plus haut, au cours de laquelle les taux d’intérêt pourraient être plus bas, devrait soutenir l’activité sur le marché immobilier résidentiel. Ainsi, selon nous, le printemps demeurera très actif.
À moyen terme, si le conflit devait perdurer, il y aura assurément des pertes d’emploi qui se traduiront par des ménages qui auront des difficultés à rembourser leur prêt hypothécaire et qui devront vendre. Cela ferait alors augmenter l’offre de propriétés sur le marché de la revente et, viendra éventuellement la question de savoir si cela est susceptible de faire basculer les conditions du marché en territoire acheteur. Mais il est beaucoup trop tôt à ce moment-ci pour avancer une telle chose.
D’une part, nous ne connaissons pas encore les mesures de soutien que les gouvernements vont apporter aux travailleurs des industries les plus durement touchées. D’autre part, les droits de douane, qui viseront les importations de plusieurs pays, finiront par susciter la grogne chez les consommateurs américains qui seront les premiers à en faire les frais, puisqu’ils paieront plus cher pour une panoplie de produits. En ce sens, une guerre de longue durée demeure très improbable. Ce genre de conflit ne fait aucun gagnant. Parions donc que toute cette saga nous réserve encore bien des surprises.
[1] Discours du gouverneur de la Banque du Canada Tiff Macklem le 21 février devant la Chambre de commerce de Mississauga.